Manger différemment, mais surtout manger intelligemment : voilà l’enjeu majeur de la nutrition aujourd’hui pour les cyclistes professionnels. “On observe de moins en moins de fringales chez les coureurs”, constate Julien Louis, nutritionniste au sein de l’équipe DECATHLON AG2R LA MONDIALE TEAM. Pourquoi cette évolution ? Il nous éclaire sur les nouvelles approches nutritionnelles qui permettent aujourd’hui d’optimiser la performance sur le vélo.
1 - L’alimentation pendant l’effort : une approche stratégique
a - Le rôle central de la cellule nutrition
L’équipe DECATHLON AG2R LA MONDIALE TEAM compte trois nutritionnistes qui accompagnent les coureurs, des juniors jusqu’aux athlètes du World Tour. Leur mission : suivi personnalisé sur les courses prioritaires, les stages, et parfois même lors des entraînements individuels. “Certains coureurs viennent spontanément nous demander des conseils. Ce sont eux les principaux acteurs de leur performance”, souligne Julien Louis.
b - Organisation de la nutrition en course
Avant chaque épreuve, des recommandations nutritionnelles précises sont transmises aux directeurs sportifs : localisation des ravitaillements, types de gels ou barres à utiliser, présence d’une musette, etc. Ces choix varient en fonction de nombreux facteurs : profil de la course, kilométrage, météo, technicité.
Sur les épreuves les plus exigeantes, un cuisinier accompagne le nutritionniste pour garantir la qualité nutritionnelle et sanitaire des repas, particulièrement à l’étranger. Le menu est adapté à chaque coureur et à l’intensité de la course. “Nous pesons ce qu’il y a dans chaque assiette, les recommandations sont précises au gramme près. Le but n’est pas de restreindre, mais d’optimiser la performance”, explique Julien.
En course, l’imprévu reste de mise : conditions météo, stratégie d’équipe, bordures, échappées… Autant d’éléments qui peuvent bouleverser le plan nutritionnel initial. Il faut alors savoir s’adapter en temps réel.
c - Les repères chiffrés de la nutrition en course
Aujourd’hui, les coureurs connaissent très bien leurs besoins en glucides. Des plans leur sont proposés, selon leur rôle dans la course. “Un coureur en échappée n’aura pas les mêmes besoins qu’un coéquipier protégé dans le peloton”, précise Julien :
- 60 g/h durant les premières heures,
- puis 90 à 120 g/h en fonction de l’effort à fournir.
Les coureurs reçoivent ces consignes sur leur potence, comme rappel, mais doivent aussi savoir ajuster leur apport selon les aléas de la course.
d - Deux types de courses, deux approches nutritionnelles
- Courses énergivores (étapes de montagne, classiques ardennaises et flandriennes) : l’objectif est d’atteindre 100 à 120 g de glucides par heure.
- Courses moins intenses (étapes de plaine, courses plus courtes) : les besoins sont moindres, mais les apports sont tout de même ajustés pour maintenir une composition corporelle stable.
2 - Une décennie de progrès : la révolution nutritionnelle
Il y a dix ans, on pensait que le corps ne pouvait assimiler plus de 60 g de glucides par heure. Aujourd’hui, on sait que l’on peut aller jusqu’à 120 g/h, en combinant différents types de sucres (glucose, fructose, maltodextrine…). “Ces découvertes ont permis d’éviter les fringales et d’augmenter l’apport énergétique pour les muscles”, explique Julien. La nutrition est désormais aussi stratégique que l’entraînement : watts et secondes gagnées passent aussi par l’assiette.
Fini les petits gâteaux et les wraps ! Aujourd’hui, les musettes sont remplies exclusivement de produits énergétiques adaptés. Même si certains coureurs aimeraient encore un petit plaisir sucré, l’efficacité prime : les courses durent en moyenne 4 à 5 heures, et chaque calorie compte.
Il y a quelques années, il fallait encore convaincre. Désormais, les coureurs sont demandeurs. Leur expérience leur a appris que les produits plaisir ne remplacent pas l’efficacité des aliments spécifiquement conçus pour l’effort.
3 - L’alimentation après l’effort : récupérer pour mieux repartir
a - Un protocole strict en phase de récupération
Les deux à trois heures suivant la course sont déterminantes pour la récupération. Le protocole est précis :
- 1re heure : collation sucrée, riche en protéines, soda et 30 g de bonbons pour atteindre 70 g de glucides.
- 2e heure : repas solide, souvent salé (salade de pâtes, flan…), visant entre 70 et 120g de glucides en fonction du poids des coureurs.
Ensuite, les coureurs passent au massage, puis au repas du soir.
b - Une analyse individualisée post-course
Après chaque course, les fichiers de puissance sont analysés. Objectif : adapter les apports caloriques au cas par cas. “Si un coureur a été en échappée alors que ce n’était pas prévu, il faudra ajuster les repas pour compenser l’effort”, explique Julien.
Chaque coureur a des besoins différents, selon son poids, son rôle, sa dépense énergétique. Le but est de maintenir un équilibre parfait entre ce qui est consommé et dépensé.
4 - Et l’hydratation dans tout ça ?
Là aussi, rien n’est laissé au hasard. Les coureurs doivent boire entre 500 ml et 1L d’eau par heure. C’est la limite physiologique fixée par la vitesse de vidange gastrique. “Même par forte chaleur, on ne peut pas boire plus. Boire au-delà d’1L/heure pourrait conduire à de l’inconfort gastrique ou mal au ventre”, précise Julien.
À 95 %, l’hydratation se fait via des boissons énergétiques. L’eau pure n’est utilisée qu’en complément, notamment sur les courses estivales pour réduire la saturation gustative. Le sirop, lui, a disparu : il ne contient qu’un seul type de sucre, donc moins efficace.
La nutrition n’est pas réservée aux coureurs professionnels. Pour les cyclistes amateurs, une boisson énergétique par heure peut déjà faire une grande différence. En cas d’entraînement intense, ajouter un gel et une barre par heure permet d’atteindre 60 g de glucides, un excellent point de départ. En résumé, pour les coureurs professionnels comme amateurs, il faut : manger, boire, adapter… et surtout, rouler intelligemment !